Approcher musicalement un monument littéraire est une entreprise périlleuse. Un classique tel que le Quichotte a tissé, depuis sa première publication il y a quatre siècles un réseau infini dans l’histoire des lettres, mais aussi dans celle du sensible et de l’imaginaire collectif. Le chevalier à la triste figure est un mythe, presque une définition. S’attaquer au roman de Cervantès pour en tirer une œuvre acousmatique, de plus une œuvre collective dans un univers et une pratique musicale où la collaboration n’est pas assez souvent de mise, n’est-ce pas justement une entreprise un peu quichotienne ? Une entreprise qui prend le risque de ne pas pouvoir être menée à bout ?
Nous n’ignorons pas que chacun possède son Quichotte, ou du moins croit posséder son Quichotte. Entre l’œuvre et l’ensemble de clichés – voire d’images d’Epinal – qui se sont formés autour, difficile de faire un tri honnête entre la portée réelle et l’aura plus ou moins frelatée ou distordue qui accompagne inévitablement les vrais, les grands, les seuls et définitifs classiques. Dès lors, et avant d’aller plus loin, disons d’emblée que ce Quichotte-ci, ce Quichotte acousmatique, n’est après tout qu’un Quichotte possible.
Ce défit nous avons décidé de le tenter quoi qu’il en soit, avec nos moyens esthétiques et techniques, avec notre désir et notre attachement à ce personnage inépuisable. Bien sûr, pour que ce projet ne parte pas dès le début à hue et à dia, un angle d’attaque, une « ligne directrice » était nécessaire. Non pas en cherchant à réduire l’ampleur du corpus quichottien aux seuls trais marquants attendus – la folie, les moulins… , mais en cherchant un point de vue à la fois clair et en même temps disponible pour les distorsions ou perversions que nous n’allions pas manquer de faire subir à l’œuvre de Monsieur Miguel de Cervantès Saavedra.
Ainsi, plutôt qu’Imaginaire nous avons choisi Utopie. Don Quichotte de la Mancha ou le carnet d’un voyage en utopie. Un choix certes évident, mais qui nous a semblé ouvrir perspectives et possibilités, d’ouvrir des vannes où une mise à plat des grandes thématiques du roman pourrait trouver un nouveau relief au fil d’une forme narrative propre à l’œuvre acousmatique. Bien entendue cette forme n’est pas linéaire, il ne s’agit pas d’une compilation des meilleur « faits d’armes » de Don Quichotte et Sancho. Même si peut-être, ici ou là, surnagent quelques éléments ou traces à même d‘évoquer une musique à programme ou une certaine tradition de la mise en scène acousmatique des grands textes. Nous avons choisi une approche que, faute de meilleurs termes, nous définirons comme sensible ou métaphorique. Découpée en grands mouvements abordant chacun une thématique majeure du roman, cette Temporada Utopica déroule donc peu à peu un portrait en creux, une série d’impressions par touches légères ou plus appuyées, bref un profil – que nous espérons original – de l’homme de la Mancha. La quête de l’idéal, l’amour courtois, la puissance des livres et de l’imaginaire, les glissements de la perception, la folie, le réel, les grands axes du roman forme un visage saisissant, celui d’une utopie en marche, d’une vision.
Ainsi, le choix des textes entendus (ou parfois seulement devinés, par bribes) dans la pièce découle de cette approche fragmentaire, allusive. Extraits du roman de Cervantès, mais aussi chant des troubadours du fin’amor, citations de poètes contemporains, textes originaux ou sources bibliographiques composent une mosaïque non pas babélienne mais avant tout évocatrice, qui ouvre. Le texte, néanmoins, n’est qu’un élément du tout, il vient s’inscrire avec ou contre les sons et l’écriture musicale, il est prit dans un total sonore et perceptif, il n’est peut-être même qu’un ‘commentaire’ de l’expérience esthétique que nous proposons. Ici, tous les sons disent le Quichotte.
L’auditeur est tout simplement invité à explorer pour lui-même ce voyage sur les terres physiques et mentales d’une Mancha acousmatique dont la valeur est, espérons le, métaphorique mais aussi incarnée. C’est un périple, un carnet d’errance, une utopie, une pérégrination, un espace où formes et sons, sens et sensibilités nous invitent à recréer notre propre utopie. Composer à quatre un projet de cette taille nécessitait une certaine organisation. Il fallait à la fois que chaque individualité s’exprime, mais il fallait également garantir une cohérence propre à l’œuvre. Nous avons donc choisi de partager nos sons, d’utiliser pour l’essentiel les voix des deux mêmes comédiens, de composer collectivement les grands mouvements d’ouverture et de clôture ainsi que de brefs interludes. Mais la cohérence semble finalement s’être dessiné seule, sans doute est-ce le fruit d’une maturation du projet en chacun de nous avant même de poser la première pierre sonore.
La création de cette musique à eu lieu le 26 août 2010 lors du festival Futura 2010 (Crest)
PRESSE«[…] Guillaume Contré, Olivier Lamarche, Nathanaëlle Raboisson et Vincent Laubeuf s’étaient prêtés à une expérience rare autant que réussie, celle de l’œuvre collective : Temporada Utopica – conversation avec Don Quichotte est une création en
huit tableaux sélectionnant quelques aventures hautes en couleur du Chevalier à la triste figure ; «carnet d’errance » tapageur et ricochant, cette fresque foisonnante de 90 minutes exploite sans compter de multiples situations acousmatiques (boucles, collages, mixages… ) dont la cohérence n’est pas le maître mot mais où tous les sons disent le Quichotte et sa quête éperdue et risquée.»
Michel Tosi dans Resmusica le 7/09/2010
DISTRIBUTION
Direction du projet : Motus Musique : collectif Motus Guillaume Contré, Olivier Lamarche, Nathanaëlle Raboisson Mise en espace, Textes (français, espagnol, provençal XIIe siècle, langue romane) : Miguel de Cervantès y Saavedra, Bernard de Vantadour, trouvère ananyme, Roberto Bolano, Guillaume Contré, liste exhaus- tive des livres de la bibliothèque de DQ. Avec les voix enregistrés de : François de Brauer, Térésa Lopez Cruz et Désiré Maillard-Sallin. Sans oublier quelques apparitions des compositeurs eux-mêmes. Equipe technique : Motus
FICHE TECHNIQUE
Durée : 1 heures 30 environs
2 techniciens et 1 interprète acousma
1 acousmonium réparti dans la salle, avec un interprète acousmatique à la console de projection, soit au milieu du public, soit derrière (selon les possibilités). : fourni par Motus